[PV] Curiouser and curiouser

Elle avait quitté l’hôpital il y avait quoi ? Une semaine ? Et la voilà consignée derrière un bureau, elle qui n'était pas capable de rester gentiment assise pendant trente secondes sans bavarder, critiquer la tenue du premier venu et se casser. Mais ce genre de conduite était faisable en contexte scolaire, pas ici. Elle devait travailler. Dessiner des plantes étranges ramenées lors d'expéditions le plus précisément possible et sans y mettre son grain de sel. Elle aurait bien ajouté des détails, changé un peu le contour des feuilles, imaginé à quoi les fleurs du spécimen pouvait ressembler. Mais non, les consignes étaient simples et précises : pas de fioritures, pas d'invention, juste la reproduction de ce que l'on voyait et ce sans prendre des pauses toutes les cinq minutes pour aller discuter. Le bagne quoi.

Son crayon diminuait de minute en minute, elle ne pourrait même plus s'attacher les cheveux avec. Elle soupira et sur ses feuilles de brouillon, elle gribouilla une cigarette à côté d'une tasse de café fumante. Deux des rares choses qu'elle regrettait. Pour le moment du moins. Siwan se lasserait très certainement de cet univers tout neuf à ses yeux. Dans dix ans, dans six ans, dans trois ans maximum, elle péterait les plombs. Présentement, elle était dans une phase où elle regardait un peu tout avec des yeux ronds, comme un enfant catapulté dans un nouvel endroit. Il fallait dire qu'il y avait autre chose à faire que râler devant les rations alimentaires, les habitations et le travail forcé. Elle se plaignait quand même mais moins qu'elle ne l'aurait dans les mêmes conditions sur Terre. Rien que les étranges plantes à dessiner

Elle finit le dessin d'un végétal tout en spirales et décida de s'octroyer une pause. Enfin, ce n'était pas vraiment fini, il n'y avait que le crayon gris. Il lui faudrait repasser avec quelque chose de moins éphémère puis colorer. Elle se demanda ce qui était utilisé d'ailleurs pour fabriquer le matériel. Ceux qu'ils avaient trouvé donc peu de trucs terrestres, sauf si ils les avaient trouvés sur d'autres humains... Toujours était-il que l'espèce de crayon noir et un peu gras, elle le déroba pour s'en servir eye-liner à l'avenir. Il était compliqué d'avoir l'air présentable sur ce monde-ci même avec l’inexistence des lendemains de soirée à camoufler. Elle quitta la place qui lui avait été assignée et se balada un peu au hasard dans le bâtiment de la Recherche. Aux suspicieux qui lui demandaient ce qu'elle cherchait, elle prétextait une envie d'aller aux toilettes dont on lui indiquait ensuite la direction. Elle partait alors automatiquement dans le sens opposé d'un pas léger.

Bientôt, elle arriva au niveau de ce qui semblait être l'endroit le plus intéressant du lieu. Un bureau dont la porte, ouverte à intervalles plus ou moins longs, laissait sortir des gens aux étranges comportements. Elle arriva pile au moment pour voir sortir une femme accompagnée de sa copie exacte. Femme qui n'avait certainement pas de jumelle vu qu'elle avait raconté sa vie de fille unique à Sissi à une pause déjeuner lors d'une conversation animée sur le manque total de goût de leur famille respective, famille qu'elles ne reverraient vraisemblablement jamais plus. La galloise effaça cette pensée de son esprit avant de virer nostalgique et se reconcentra sur ce qu'elle voyait. Elle ne voyait aucune différence entre les deux individus à la peau mate, au sourire un peu de travers, qui avaient poussé le vice à se coiffer exactement de la même façon. Elles passèrent devant elle en discutant avec la même voix et les mêmes intonations. Bizarre. Le plus curieux était qu'elles pensaient également de la même façon.

Siwan resta longtemps devant la porte close à présent. Elle se posait des tas de questions sur ce qu'elle venait de voir sans pour autant oser frapper. Pas qu'elle soit timide, juste qu'elle ne voulait pas d'un clone ou d'un troisième bras dans le dos. Elle finit quand même par se décider et toqua. La curiosité l'avait finalement emporté.